Kadia Moisson, experte Afrique pour Grant Alexander, nous éclaire sur un continent en plein boom RH.
Ce mois-ci, elle nous propose un entretien avec Elisabeth Moreno, VP et Directrice Générale de Hewlett Packard Afrique.
Kadia Moisson : En Afrique aujourd’hui, et même depuis quelques années, on entend beaucoup parler de leadership. On se demande ce qui caractérise un leader africain. Le leadership est devenu très tendance et chacun s’autoproclame leader. Selon vous, quels sont les enjeux du leadership en Afrique aujourd’hui et demain ? De quoi a besoin un leader pour relever ces défis ?
Elisabeth Moreno : Il y a quelques années, lorsque l’on nous demandait de citer un leader, on donnait souvent le nom de grands hommes politiques tels que Mandela, Churchill, Gandhi, ou Martin Luther King ou encore des femmes emblématiques comme Simone Veil, Margareth Thatcher ou Mère Teresa. Aujourd’hui, on cite surtout des noms de grands chefs d’entreprises, de CEO, PDG de grands groupes internationaux, qui ont eu des parcours exceptionnels. Je pense à Jack Welch, Steve Jobs, Elon Musk, Jack Ma ou Marc Zuckerberg, le plus jeune d’entre eux, qui incarnent une véritable réussite économique.
Il me semble que nous avons connu l’ère du pouvoir religieux, l’ère du pouvoir militaire et l’ère du pouvoir politique. Aujourd’hui, nous sommes dans l’ère du pouvoir économique.
Les drivers du leadership économique sont pilotés par les Américains et les Chinois. Ces 2 grandes puissances économiques exportent leurs compétences techniques et technologiques dans le monde et dirigent l’économie mondiale.
L’Afrique qui est pourtant un continent avec de grandes richesses naturelles, n’est pas aujourd’hui considérée comme un moteur économique alors qu’il concentre en son sein de très grandes richesses qu’elles soient humaines, naturelles, minières, énergétiques ou agricoles.
L’Afrique est unique. Ses problèmes sont uniques. Le leadership des pays du Nord n’est pas toujours applicable en Afrique. C’est pourquoi il nous faut encore développer notre leadership pour influencer non seulement le développement de notre continent mais également avoir une voix au chapitre mondial.
Des personnes issues de la diaspora sont maintenant reconnues comme de grands leaders, je pense à Cheick Modibo Diara ou Tidjane Thiam, ou ceux du continent, comme Paul Kagame, Amrote Abdelah, ou Tewolde Gebremariam et Kabiru Rabiu. C’est heureux. J’espère qu’ils deviendront nos prochaines références de leadership africain. Et qu’il y aura davantage de femmes aussi !
On s’aperçoit également que certains pays d’Afrique émergent dans les classements DOING BUSINESS, et changent la donne par le courage de leur leadership politique et économique. Je veux citer pour exemple, le Président du Rwanda, Paul Kagame, qui a su faire accepter un mode de leadership africain moderne qui se conjugue avec les codes et les systèmes du monde occidental.
Je souhaite en particulier souligner la richesse humaine de l’Afrique. En 2050, la population africaine va dépasser celle de la Chine et l’Inde. Face à cette forte croissance démographique, il est impératif d’investir massivement sur l’Education scientifique et technologique de la jeunesse africaine qui constitue l’avenir du continent. J’insiste sur ce terme Education. Le taux d’alphabétisation doit s’accélérer et se renforcer. C’est fondamental pour le développement de l’Afrique. A l’échelle d’un pays, on ne tire les bénéfices d’une bonne éducation qu’au bout de 20-30 ans, d’où l’urgence actuelle.
Il y a une grande pénurie des talents sur le marché mondial. L’Afrique doit pouvoir former et exporter ses compétences humaines, technologiques et techniques. Ce travail passe par l’Education et la formation. Comme le disait Nelson Mandela « L’éducation est l’arme la plus puissante qu’on puisse utiliser pour changer le monde. »
Pour finir, le leader pour moi doit avoir une vision et du courage pour la mettre en œuvre de manière inclusive. Aujourd’hui tout est transparent et tout va vite. C’est pourquoi il doit être déterminé dans la réalisation de ses ambitions, porter des valeurs et aimer les gens. Il ne peut pas se désintéresser de l’avenir des personnes avec lesquelles il travaille. Sans tomber dans le leadership paternaliste, le leader doit aujourd’hui développer son intelligence émotionnelle au même titre que son intelligence technique.
Kadia Moisson : Quels sont les leaders qui vous inspirent ?
Elisabeth Moreno : Nelson Mandela, Simone Veil, Jack Ma (Ali Baba), Paul Polman (Unilever), Carolyn Miles (Save The Children) et plein d’autres !
Kadia Moisson : On entend beaucoup parler d’intelligence collective dans nos économies modernes. L’intelligence collective serait la prise en compte du Capital humain dans toute sa diversité dans la stratégie de développement et de performance de l’entreprise. On voit bien qu’à chaque palier de l’évolution des sociétés, de nouvelles formes d’organisation sociale sont créées. Aujourd’hui, l’intelligence collective et les responsabilités partagées en sont les drivers principaux ; et demain selon vous, quels seront les ancrages des futurs modèles de leadership ?
Elisabeth Moreno : Face au développement de la robotisation, voire la peur de la robotisation, le Capital humain prend tout son sens, toute sa place. Les nouvelles générations Y et Z sont en attente de nouveaux types de management, de nouveaux modèles d’organisations. Si vous voulez l’engagement des employés, si vous voulez une synergie entre les différents acteurs de l’entreprise, si vous voulez attirer des talents et des capacités, il faut faire de la place à toutes les formes d’intelligence humaine au sein de l’entreprise. Il y a une pénurie globale des Talents. Il est donc nécessaire de savoir recruter différemment, identifier les profils qui partageront les valeurs de l’entreprise et surtout savoir les retenir.
Je crois fondamentalement en l’intelligence collective ou au Human Resourcing. Sans intelligence collective, il ne peut y avoir de succès durable de l’entreprise.
Kadia Moisson : La féminisation des Boards est un vrai sujet aujourd’hui dans nos économies modernes. A votre avis, quelle est la principale qualité à avoir pour accéder à des niveaux de fonction comme la vôtre ?
Elisabeth Moreno : Le leadership n’est pas une question de genre ; c’est une question de qualités que l’on possède ou que l’on développe. Un leader qu’il soit homme ou femme est celui qui sait emmener les autres avec lui. Ce leader est suivi par des personnes qui croient en son projet et qui ont besoin d’être stimulées, inspirées.
Les femmes en Afrique, sont de grandes femmes d’affaires, l’Afrique est le continent où il y a le plus de femmes entrepreneures. Il faut maintenant qu’elles osent pousser les portes des boards, qu’elles prennent le risque de découvrir un nouveau cadre, d’apprendre de nouvelles choses. Et si elles le peuvent, qu’elles se forment pour acquérir de nouvelles compétences. Qu’elles trouvent des mentors pour les accompagner. La connaissance et le travail sont les clés de la réussite quels que soient les environnements.
Kadia Moisson : Si vous étiez un chasseur de tête, comment feriez-vous pour détecter les bons profils ?
Elisabeth Moreno : Je pense qu’il faut oser mettre les intelligences émotionnelles, les soft skills au cœur des dispositifs de recrutement. Oser recruter des personnes différentes, à l’esprit ouvert sur le monde et arrêter de recruter dans les mêmes écoles, dans les mêmes secteurs d’activité et sélectionner les mêmes profils parce qu’ils rassurent. Le monde est global, il est divers. Embrassons cette diversité pour tirer le meilleur de ce qu’elle a à offrir.
Je ne ferais plus de recrutements enfermée dans un bureau, j’emmènerais les candidats hors des cadres attendus, je les mettrais en situation dans la vie réelle, je les ferais recruter par leur prochains collègues, équipes…